Unité Mixte de Recherche UMR 1141
Inserm-Université Paris Diderot
NeuroKines
A
Microglie et neuroprotection
Rôle des microglies et stratégies de neuroprotection dans l’atteinte du cerveau en période néonatale
En 2010, la naissance prématurée était la cause la plus fréquente du décès ou du handicap chez l'enfant de moins de 5 ans. Dans des pays développés, le taux de la prématurité est en essor. La naissance prématurée donne lieu à plus de décès que le paludisme ou la pneumonie, et à la perte de 77 millions d'années de vie ajustées à l'incapacité, principalement à cause des atteintes neurologiques. Tandis que la survie des enfants prématurés augmente, la morbidité associée à la naissance prématurée reste inchangée. Presque 10% des enfants nés avant 33 semaines d'aménorrhée développent une paralysie cérébrale, et à peu près 35% présentent des déficits cognitifs et neuropsychiatriques persistants. Si les problèmes les plus sévères sont liés à la très grande prématurité, même des réductions modestes de la durée de gestation sont liés à des effets indésirables importants, dont le besoin d'une scolarisation adaptée, qui rendent particulièrement difficile l'éducation et les soins de ces enfants. Il n'y a actuellement aucun traitement pour prévenir ou atténuer ces déficits. Tandis que le prix émotionnel de ces déficits pour les individus, leur famille et la société est incalculable, le coût de la prise en charge d'un enfant paralysé cérébral durant sa vie est de 1,3 millions de dollars. La naissance prématurée survient typiquement dans un contexte d'inflammation ou d'infection maternelle ou fœtale, exacerbée avant ou après la naissance par des agressions environnementales dont l'hypoxie. Les études IRM et post-mortem indiquent des anomalies diffuses de la substance blanche et de la substance grise, telles qu'une réduction de la maturation des oligodendrocytes (OL) et de la myélinisation, une réduction de la génération de neurites, et une activation des microglies (MG), collectivement appelées "l'encéphalopathie du prématuré". Les MG sont les principaux médiateurs de l'inflammation ou de l'atteinte cérébrale, et sont considérés comme ayant un rôle clé dans l'encéphalopathie du prématuré (Hagberg H. et al., Ann Neurol 2012, Verney C. et al., J Neuropathol Exp Neurol 2012). Ces cellules immunitaires innées ont la capacité d'acquérir des phénotypes ou des états d'activation distincts mais dynamiques en réponse à des stimuli tels que l'infection ou l'inflammation maternelle ou fœtale, leur permettant soit de secréter des molécules neurotoxiques et de perturber ainsi des processus développementaux normaux, soit de promouvoir la réparation et la régénération du cerveau. Les MG jouent également un rôle physiologique central pluridimensionnel pendant le développement, dans la prolifération neuronale, la synaptogenèse et l'élagage synaptique, et influent aussi sur la survie et la maturation des OL. Ces rôles divers font des MG des modulateurs critiques du développement et de l'atteinte cérébraux. Ces dernières années, notre équipe a contribué significativement à la compréhension des mécanismes d'activation des MG et leur effet sur l'atteinte au cerveau en période périnatale, et à l'élaboration des stratégies de neuroprotection potentielles.
1. Mécanismes de l'activation des MG dans l'atteinte cérébrale en période périnatale
Nous avons développé et utilisé un large éventail d'outils conceptuels et méthodologiques (y compris une plateforme dédié à l'évaluation de la neuroinflammation; http://www.neuroinflammation.fr/index.html#microglie) afin d'étudier la neuroinflammation dans des modèles animaux et in vitro et dans des tissus humains post-mortem, nous permettant ainsi de générer des données vastes, de révéler plusieurs nouveaux caractéristiques des MG, et de proposer des hypothèses originales:
- A l'aide d'une collection unique de cerveaux post-mortem (des enfants prématurés décédés pendant la période postnatale précoce et des enfants témoins du même âge), nous avons montré une forte corrélation entre l'accumulation des MG activés, l'arrêt de la maturation oligodendrocytaire, et un déficit du transport axonal (Pogledic I. et al., Brain Pathol 2014, Verney C. et al., J Neuropathol Exp Neurol 2012).
- Nous avons identifié et validé un panel de 23 marqueurs qui caractérisent les phénotypes des MG activés (pro-inflammatoires, neuromodulateurs, et pro-réparation), permettant l'évaluation des phénotypes in vivo divers de MG, une fois triés. Cet article a été cité plus de 127 fois (Chhor V. et al., Brain Behav Immun 2013).
- A l'aide d'un modèle murin qui récapitule les éléments clés de l'encéphalopathie du prématuré, nous avons démontré le rôle clé de 3 vois d'activation de MG inconnues jusqu'à maintenant : l'expression des récepteurs NMDA par des MG (Kaindl A.M. et al., Ann Neurol 2012), la voie Wnt chez des MG (Van Steenwinckel J. et al., J Clin Invest, 2017, en révision), et l'expression soutenue, induite par l'inflammation, de PSD95 sur les membranes des MG (Krishnan M.L. et al., Nat Comm, 2017). De plus, nous avons montré que la voie Wnt et PSD95 ont une forte corrélation avec des anomalies de la substance blanche révélées par l'IRM chez des nouveau-nés humains prématurés. A part ces nouvelles voies, nous avons également confirmé le rôle du mirco-ARN miR-146 dans l'activation des MG pendant le développement (Bokobza C. et al., en préparation), comme dans des pathologies neurologiques adultes, ouvrant ainsi des possibilités communes de neuroprotection entre ces deux périodes.
- Dans le même modèle, en collaboration avec D Rowitch (UCSF, San Francisco), nous avons établi le rôle clé de l'induction astrocytaire du COX2 comme médiateur des effets de l'activation des MG sur l'arrêt de la maturation des OL, menant ainsi au concept d'un "ménage à trois" (Shiow L. et al., Brain, 2017, en révision).
- Il a été démontré par notre équipe ainsi que par d'autres que l'inflammation systémique sensibilise le cerveau en développement à une atteinte secondaire hypoxique ou excitatrice. Nous avons récemment établi que la suractivation des récepteurs métabotropiques du glutamate induite par la baisse de GRK2 est une étape clé conduisant à l'augmentation de la mort neuronal (Degos V. et al., Ann Neurol 2013).
- Nous avons proposé le concept innovateur que des enfants prématurés exposés à une inflammation systémique pendant la période périnatale pourraient avoir une neuroinflammation soutenue (durant des mois ou des années) donnant lieu à un dysfonctionnement neuronal prolongé, qui pourrait ainsi constitué une nouvelle cible pour la neuroprotection (Fleiss B. et al., Lancet Neurol 2012).
2. Stratégies neuroprotectrices
- En utilisant notre modèle d'encéphalopathie du prématuré chez la souris, nous avons démontré que la supplémentation aux hormones thyroïdiennes, suggérée pour des enfants prématurés, n'améliore pas le phénotype de la substance blanche (Schang A.L. et al., Brain Behav Immun 2014). En revanche, un antagoniste du récepteur de l'histamine H3 (en collaboration avec GSK, Royaume Uni) a un effet neuroprotecteur important dans ce modèle (Schang A.L. et al., en préparation).
- Nous avons collaboré avec N Robertson (UCL, Londres, Royaume Uni) pour essayer différentes stratégies neuroprotectrices dans un modèle préclinique chez un grand animal (des cochons nouveau-nés soumis à une insulte hypoxique-ischémique); ces stratégies incluent la dexmédétomidine, l'argon, et le post-conditionnement ischémique à distance (Broad K.D. et al., Neurobiol Dis 2016, Ezzati M. et al., J Cereb Blood Flow Metab 2016, Ezzati M. et al., Acta Anaesthesiol Scand 2014).
- Nous avons également collaboré avec S Juul (Université de Washington, Seattle, Etats Unis) pour tester les effets neuroprotecteurs de l'érythropoïétine dans un modèle primate non-humain (McAdams R.M. et al., Dev Neurosci 2017).
Pierre Gressens
DR Inserm
Membres de l'équipe